Mesdames, Messieurs,
C’est pour moi un réel plaisir de me retrouver ici à Los Angeles pour participer à ce IXème Sommet des Amériques, l’un des lieux privilégiés de rencontre de la grande famille de l’Hémisphère occidentale.
Permettez-moi d’adresser au nom de mon pays Haïti et de la délégation que je préside mes plus vifs remerciements aux dirigeants et au gouvernement du pays hôte, pour la qualité de l’accueil qui nous a été réservé.
Le thème retenu pour ce IXe sommet des Amériques : « Construire un avenir durable, résilient et équitable » constitue en lui-même un objectif ambitieux et désirable pour notre région. Je tiens à féliciter ici tous les cadres qui ont travaillé et contribué à l’élaboration des divers projets d’engagements.
Si nous arrivions à transcender les égoïsmes nationaux et à nous engager réellement tous ensemble à faire en sorte que ce thème ne soit pas seulement un slogan vide de contenu ou un simple vœu pieux, qu’elle serait belle notre Amérique, de l’Alaska jusqu’à la Terre de feu en passant par la Caraïbe. Imaginez que nous nous mettions tous à construire une Amérique unie, intégrée, dans laquelle nous ferions disparaitre la misère, la pauvreté, les inégalités et la violence. Imaginez une Amérique où les richesses seraient réparties équitablement, où personne ne serait laisser de côté, où l’insécurité alimentaire et la faim auraient complètement disparu. Une Amérique où les règles démocratiques communes du vivre ensemble permettraient à tous les citoyens de vivre dans la dignité et dans le respect des droits de tous et de chacun. Une Amérique caractérisée par les relations de bon voisinage, où nous pourrions tous circuler librement d’une région à l’autre sans restrictions inutiles, où la nature comme bien commun, serait respectée et régénérée. Imaginez une Amérique où les soins de santé seraient accessibles à tous, où le fossé numérique serait comblé permettant à tous d’avoir accès aux bienfaits des nouvelles technologies. Elle serait vraiment belle notre Amérique avec ses diversités de paysages, de peuples, de races, de cultures, de langues et de modes de vie.
Mais malgré les complexités et les difficultés des réalités politiques au quotidien, il est de notre devoir de penser l’avenir et de commencer maintenant à poser les bases de ce que sera notre futur et celle des prochaines générations.
Notre monde devient de plus en plus dangereux et les menaces de remise en cause de ce qui nous a permis jusqu’ici de vivre ensemble dans une paix relative, sont bien présentes et se concrétisent tous les jours. Partout, nos sociétés deviennent plus violentes. Les attaques contre les valeurs démocratiques auxquelles nous avons tous souscrits et que nous avons en partage dans notre hémisphère, se multiplient et risquent de tout déstabiliser. La démocratie n’est pas un état que l’on atteint une fois pour toutes. C’est une construction permanente, c’est un combat quotidien. Il nous incombe de la défendre et de la renforcer.
Monsieur le Président, Chers Collègues,
J’en parle avec d’autant plus de conviction que j’ai la lourde responsabilité de diriger un pays qui a fait l’histoire. Un pays construit par des pères fondateurs qui ont combattu pour que tous les hommes naissent effectivement libres et égaux en droit, quelle que soit leur race. Je parle de démocratie, je parle de construction de l’avenir parce que dans mon pays la démocratie a reculé et que l’avenir parait sombre et le restera si nous ne faisons rien pour poser aujourd’hui, les bases pour un lendemain meilleur.
Vous le savez tous, le Président de la République qui m’a nommé Premier ministre a été odieusement assassiné au lendemain de ma nomination. J’ai le sentiment désagréable que ceux qui ont conçu et financé ce plan macabre courent toujours et échappent encore à notre système judiciaire.
Je ne suis pas venu ici pour me plaindre, mais je crois que dans notre volonté de construire ensemble un meilleur avenir pour tous dans la région, vous devez avoir une idée exacte de ce qui se passe aujourd’hui dans mon pays et de ce que j’entreprends pour y remédier.
Mon pays est actuellement soumis à une insécurité alimentée par des gangs armés qui volent, qui violent, qui tuent et kidnappent des nationaux aussi bien que des étrangers. Par leurs actions criminelles, ils sont parvenus à empêcher la libre circulation des personnes et des biens. La péninsule sud victime du tremblement de terre du 14 août 2021 est pratiquement coupée du reste du pays.
Nos institutions démocratiques se sont effondrées. Cela fera bientôt une année depuis que je suis à la tête d’un gouvernement de consensus, issue d’un Accord politique entre des forces politiques antagoniques et des secteurs de la société civile. Et je continue sans relâche à parler à mes compatriotes pour tenter d’élargir ce consensus en ralliant plus de groupes sociaux autour d’un plan conçu pour ramener les institutions du pays à un fonctionnement normal et pour restituer le pouvoir à des élus librement choisis par le peuple haïtien dans le cadre d’élections libres et transparentes.
L’instabilité politique liée à une insécurité insupportable, rendent illusoire toute velléité de construire cet avenir durable, résilient et équitable. La conséquence immédiate pour nous est un ralentissement de l’activité économique, une inflation importée, la fuite massive de nos jeunes et de nos cadres vers d’autres pays de la région et une difficulté à envisager l’organisation rapide des élections et la transmission du pouvoir à des élus.
L’émigration illégale en provenance d’Haïti qui affectait uniquement quelques pays limitrophes, s’est maintenant étendue à l’ensemble des pays du continent. Les migrants haïtiens dans leur quête d’un mieux-être, prennent tous les risques pour atteindre un pays d’accueil. Haïti accepte toujours de coopérer avec les pays de la région qui veulent rapatrier les immigrants illégaux. Mais je continuerai à plaider pour qu’un traitement humain respectueux de leurs droits fondamentaux leur soit réservé.
Je crois que l’accent doit être mis en particulier sur la recherche de solutions concrètes et durables aux problèmes qui poussent les migrants à partir de chez eux. En Haïti ces problèmes ont pour nom : la misère, le chômage, l’absence d’opportunités pour les jeunes, les inégalités, l’insécurité et l’instabilité politique.
Ces phénomènes ne sont pas spécifiques à Haïti. Mon pays comme d’autres dans la région ont besoin d’investissements massifs créateur d’emplois stables et se doit d’offrir à notre jeunesse et aux candidats à l’immigration illégale des opportunités et des raisons d’espérer un avenir meilleur. Ils en ont besoin pour fixer leurs citoyens et les faire retrouver l’envie de rester dans leur pays pour y construire cet avenir et être heureux d’y vivre. C’est ce que j’appelle la sédentarisation des citoyens dans leur pays.
Monsieur le Président, Chers Collègues,
Pendant ce IXème Sommet des Amériques, nous avons entendu beaucoup de propos encourageants et des promesses généreuses. J’ai la conviction qu’en dépit d’une conjoncture difficile, le pessimisme de l’intelligence doit céder la place à l’optimisme de la volonté.
Je crois qu’il est de notre intérêt, dans cet hémisphère de tout faire pour tenir nos promesses et qu’ensemble, nous pouvons effectivement, construire un avenir durable, résilient et équitable.
Je vous remercie
Dr Ariel Henry
Premier Ministre